Fucking Åmål  
 

la scène finale, l'émotion pure

 
     "Je dis que l'amour doit vaincre et pour cela s'être élevé à une telle conscience poétique de lui-même que tout ce qu'il rencontre nécessairement d'hostile se fonde au foyer de sa propre gloire." (André Breton,  L'amour fou)


    Åmål, petite ville de Suède, désespérante de banalité, étouffante de médiocrité. Åmål, où le monde des adultes nous apparaît encore plus sordide qu'ailleurs.. Petite ville où toute aspiration semble vouée à s'anéantir sur les flots grondant du renoncement, de la trahison à soi. Agnes (Rebecka Liljeberg), seize ans, introvertie, solitaire et rêveuse, ne peut souffrir cette ville cristallisant tout ce qu'elle hait; ennemie des espoirs les plus audacieusement, lieu où l'arbitraire social s'exerce sans scrupule tant ceux ayant accepté le pli (qu'ils soient adultes ou adolescent) se passent volontiers de l'approbation de leur conscience morale. Agnes aime Elin (Alexandra Dahlström), quatorze ans, très populaire mais elle aussi révoltée par cette vie plane et atterrante. Fucking Åmål, c'est l'histoire d'Agnes et d'Elin, deux adolescentes qui vont se découvrir et s'aimer, au sein d'un monde étriqué, intolérant et hostile à tout élan vital.

    J'aime Fucking Åmål. J'aime sa sincérité, sa spontanéité, sa justesse, sa sensibilité. Le sujet était risqué, pourtant Lukas Moodysson (dont Fucking Åmål est le premier film) a su soigneusement éviter les clichés qu'on aurait pu redouter. Il montre avant tout des êtres humains, avec leurs contradictions, leurs doutes, leurs faiblesses (cf. les parents d'Agnes, bien attentionné mais maladroits, tout simplement humains), mais aussi leur volonté, leurs rêves, leur état de révolte. J'aime cette absence de manichéisme; Moodysson refuse d'idéaliser l'adolescence et montre que l'intolérance  n'est pas une affaire d'âge! Filmé à la caméra 16 mm, avec une image très granuleuse, des raccords brusques et des effets de zoom saccadés et insistant, Fucking Åmål présente la vie crûment, sans artifices. La vie dans toute sa nudité. On a parfois l'impression que le film a été filmé au caméscope, impression loin d'être désagréable, au contraire! La vie mise à nue, comme le coeur des personnages. Réaliste, FÅ l'est assurément. Un sens très affirmé du détail y est omniprésent; il y a une attention constante aux petits faits et gestes quotidiens...  Mais ici réalisme n'est pas synonyme de complaisance dans le glauque car Lukas Moodysson, loin de ne considérer la réalité que sous son aspect immédiat le plus malsain, se focalise essentiellement sur l'intériorité de son personnage principal, Agnes et montre que réalisme (en tant que vraisemblance psychologique, volonté de cerner la vie même dans ses aspects les plus durs, refus de l'artifice) n'est pas incompatible avec le rêve, les sentiments et le merveilleux né de la rencontre, de la surprise. Sa force est de montrer que, malgré l'hostilité la plus totale d'un environnement, l'amour électif et réciproque peut exister. Fucking Åmål inflige a un monde pétri de cynisme la vision d'un couple, seul contre tous (l'avant dernière scène, un vrai bijou!!), s'aimant à la folie et contenant en lui le levier qui fait que le monde, comme le pont de Kafka, se retourne sur lui-même. Par désespoir, Agnes tente de mettre fin à ses jours en se tranchant les veines. Elin cherche aussi la fuite dans l'alcool. La fin du film montre Agnes et Elin, définitivement réconciliées avec la vie, main dans la main, se frayant un chemin à travers un lycée médusé par cette vision hors du commun. Ce film montre bien, en effet, ce que l'amour peut avoir d'isolant vis-à-vis du reste du monde : les scrupules, la crainte du "qu'en dira-t-on", le souci de la norme envolés Agnes et Elin peuvent s'aimer pleinement : les difficulté de la vie, hier insurmontables, apparaissent dérisoires, insignifiantes. Agnes et Elin se sont trouvées, elles ont su se découvrir, et découvrir par là un monde nouveau, illuminé par leur amour, où tout est redécouvert sous l'angle de la joie. Je vois dans Fucking Åmål une entreprise d'exaltation totale de l'amour, l'amour sublime, passionnel, unique, l'amour qui s'est trouvé, désormais intouchable, amour fou que le monde extérieur et son cortège de faux-semblant ne peut plus atteindre, amour révolutionnaire, porteur de l'âge d'or, lieu ou s'accomplit tout l'espoir humain. La dernière scène nous montre Agnes et Elin buvant du chocolat au lait (O'Boy!), enfin toutes les deux, enfin heureuses, parfaitement détendues, souriantes. Cette fin si simple et si belle, je ne l'oublierai jamais. Le bonheur à l'écran n'a jamais été aussi palpable. Une scène humble, simple, quasi-improvisée (elle ne figurait pas dans le script), d'une beauté unique et bouleversante, indicible; une scène lumineuse de sensibilité..

    Fucking Åmål est un film qui parle au coeur, sans détour. Il nous touche avec force, sans qu'on s'y attende. Pas de surenchère ici, on est ému par la sincérité qui s'en dégage, par cette simplicité qui fait que le message de FÅ n'a pas besoin de mots pour s'exprimer, on le ressent par la sobriété de la mise en scène, le jeu extraordinaire des acteurs (en particulier celui de Rebecka Liljeberg, voir [personnages] et [staff]), ces scènes si limpides, si justes, si belles. On ne peut pas rester insensible à Fucking Åmål, tant ce film fait écho en nous, à notre propre expérience, tant il confirme ou ravive nos propres espérances. C'est la magie de Fucking Åmål, film sobre, parfois maladroit mais toujours sincère (on sent une réelle proximité, une vraie tendresse entre Lukas Moodysson et ses personnages). Lukas Modysson ne triche a aucun moment avec le spectateur. Par sa subtilité et sa pudeur, il nous bouleverse. Son film parle le langage du coeur; les plus belles scènes de Fucking Åmål sont presque muettes; tant de grâce rendant les mots un peu superflus... Fucking Amal dit peu mais suggère beaucoup. C'est un film que l'on chérit comme un secret.

    Spontanéité, transparence; voilà comment selon moi qualifier Fucking Åmål. Un critique a reproché à Lukas Moodysson de faire de l'"art par accident". Lukas Moodysson a répondu que s'il devait monter une compagnie, il l'appellerait "art par accident". C'est effectivement le plus beau compliment (par accident!) qu'on pouvait lui faire. De son film (a l'instar du jeu de Rebecka) émane une spontanéité, une non-préméditation (dans le sens de refus de l'artifice) qui nous donne des moments magnifiques, de véritables états de grâce, comme dans cette scène ou Elin propose à Agnes d'aller à la fête! Pas d'effets spéciaux vertigineux, ni d'effets de style impressionnant, Fucking Åmål n'est pas un film virtuose, juste humain; le charme de cette histoire d'amour extraordinaire (d'ailleurs on remarque plusieurs références à Romeo et Juliette) est suffisamment puissant. Cet "art par accident" sert le film et son propos; cette ode au désir et à l'individualité s'épanouissant hors des conventions paralysantes (l'homophobie en étant la pire extrémité). Lorsque le film s'achève, on n'a qu'une seule envie : le revoir, encore et encore, pour s'envoûter à nouveau de ce conte de fée moderne tout à fait réaliste (non, ça n'a rien de contradictoire!) qui sait nous toucher si profondément.
 

 
accueil - news - staff - dvd - personnages - liens - me contacter - livre d'or